jeudi 29 janvier 2009

73 - Un banquet en juin



Vidéo : "jeux d'enfants"

Les nappes sont éclatantes sous l'arbre séculaire. Les cris joyeux des enfants se mêlent aux tintement des coupes, aux voix tonitruantes des rieurs. Les communiantes tout de blanc vêtues arborent chapeaux, ombrelles, corsages échancrés. Leurs allures distinguées leur confèrent vertu, hauteur, dignité. Les invités ont des maintiens d'aristocrates. Le propos est choisi, le ton accorte, la répartie fine. Sous les dentelles on devine de grandes familles, de beaux patronymes, d'illustres particules. Les tenues sont impeccables : gants blancs et jolies manières.

Le parc, immense, est un véritable éden pour gens du monde. Poètes, écrivains, artistes, élégantes, bohémiens fortunés et mendiants en costume s'y sentent chez eux. Du château vont et viennent Demoiselles, Messieurs, servantes. La crinoline côtoie le cigare, et les plats d'argent étincellent au soleil d'été. Les gestes sont gracieux, les coeurs sont légers et l'air est un peu lourd. Le temps est à l'enfance, aux amours, aux molles, lentes années que restitueront, intactes bien que jaunies, de vieilles mémoires.

Léthargie, éveil, mélancolie, neufs émois et doux regrets, vertes envies et mauves espérances se croisent sous les ramures augustes.

Ca trinque dans du cristal et ça interprète du Mozart. Les bruits de couverts ont des raffinements d'un autre temps. Un sybarite s'essaye au piano, sorti jusque sous le grand arbre pour l'occasion. Plus loin dans l'herbe des lèvres s'unissent au son de la barcarolle qui monte...

Le repas sous le grand arbre s'éternise, noyé dans le champagne et les pièces montées qui se succèdent. Une vieille marquise a des vapeurs, c'est l'émoi général. Petit drame charmant du dimanche... On parle safari, vieux lions fatigués et courses de gazelles. Des spectres fameux sont évoqués : Shakespeare, Hugo, Lamartine. On échange des vers, boit à petites gorgées la Poésie, respire à pleins poumons l'air chaud tant les têtes sont lourdes, étourdies par les paroles de Bacchus.

Le soir tombera sans bruit sur les nappes blanches. Les invités un à un s'en iront. L'été passera, l'arbre perdra ses feuilles, le château vieillira. Les enfants grandiront, les vieux mourront. Le siècle s'écoulera. Tout ne sera plus que souvenirs, embellis, scellés sous des crânes blanchis.

Ressuscités cent ans plus tard sur un écran d'ordinateur.

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